Roland GRÜNBERG : Voix fraternelles du YDDISHLAND et autres champs linguistiques


L'HOMME DE CENDRE, DE BRAISE ET DE LUMIÈRE

1992. Reproduction d’une lithographie de 1983 pour l’affiche d’une exposition au camp de la mort de Majdanek, devenu Musée Mondial de la Paix

C'est à Roland GRÜNBERG que l'on s'était adressé en 1983 pour la création d'une image symbolique visant à célébrer le soulèvement du ghetto de Varsovie.

A quoi fallait-il s'attendre.?

Jean COCTEAU a salué en GRÜNBERG le « RÉALISTE DE L 'IRRÈEL ». D'autres présentent les œuvres de GRÜNBERG comme exemples du réalisme fantastique. C'est assez dire qu'il s'agit d'un art visionnaire, où les libertés prises à partir du sujet n'entraînent pas aux jusqu'auboutismes du non-figuratif. C'est dire aussi que la figuration ne s'en tient pas à l'expression servile d'un témoignage strictement documentaire.

Porteur d'images symboliques, fantastiques, poétiques, GRÜNBERG parcourt le monde et y promène ses créatures d'allure étrange, mais si étranges qu'elles puissent apparaître, elles ne sont jamais étrangères aux aventures de la bête humaine, et plus particulièrement de l'animal humain rebelle à tout domptage, indocile à tout dressage, résistant à toute domestication.

L'art de Roland GRÜNBERG est fait d'images qui parlent et qui chantent. On peut y suivre le combat contre les forces des ténèbres, la quête des étincelles de lumière enfouies dans chaque conscience, la volonté d'exprimer le Singulier dans la grande cacophonie plurielle,

l'insoumission contre toute harmonisation forcée, la fraternisation dans le respect mutuel des différences.

Pour imager l'insurrection exemplaire du ghetto de Varsovie, pour manifester l'hymne des survivants à l'Holocauste, quels symboles mettre en œuvre ? Il s'agirait d'évoquer à la fois le petit monde du shtetl exposé aux pogroms, la communauté d'otages parquée dans l'enclos du ghetto, le bétail humain encagé dans les wagons de la déportation aux issues cousues de fils de fer barbelés, puis entassé dans les baraquements des camps...

Figurons donc une sorte de boÎte dont sautent un à un les couvercles, comme les volets superposés qui protégeaient les habitations juives en perpétuel état de siège, une caisse dont on force les couvercles successifs comme on arracherait les pages d'un livre de prière ou les feuilles mortes d'un calendrier. Cette caisse porte une marque: elle est étiquetée à l'image d'un vieux Juif traditionnel au visage pathétique, témoin des siècles de persécution,

donneur universel du sang de l'espoir, porte-parole des disparus, sentinelle apostée au seuil des lendemains qui chantent ou qui déchantent...

Par-delà ce monde enclavé vous interpelle un mur qui hurle la colère, un mur qui pousse un cri de révolte, un mur à profil d'homme qui entonne avec passion le chant des partisans, qui profère avec véhémence l'avertissement aux générations à venir.

Des forêts d'hommes ont été arrachées ou abattues, transformées en bûchers.

Les voici appelées à renaître de leurs cendres.

Amis, vous souvient-il du violon de Schmerl et de la contrebasse de Berl, ces klezmorim qui s'en allaient porter la fête de shtetl en shtetl, - et que les dévastateurs ont voulu enterrer avec ceux qui en tiraient la musique comme avec ceux qu'ils avaient fait danser?

Dans leurs cendres dorment des mélodies dont il reste quelques braises: réveillons-les pour rallumer les flambeaux, les lumières d'un chandelier impossible à éteindre. Que le bois dévasté reprenne racine, qu'il se fasse arbre de vie, qu'il porte des feuilles et des fruits,

qu'il reçoive les oiseaux et que tout cela chante!

Ne laissons plus l'orage déraciner la forêt repeuplée, ne laissons plus le vent dévorer notre silence!

L’Association Culturelle Juive